Des garanties de sécurité risquées
La « coalition des volontaires » occidentale décide de donner des « garanties de sécurité » à l'Ukraine, y compris l'envoi de troupes contre la volonté de la Russie, risquant ainsi une nouvelle prolongation de la guerre.
PARIS/BERLIN/KIEV (rapport exclusif) – Une « coalition des volontaires » composée principalement d'États européens, dont l'Allemagne, a décidé d'accorder des « garanties de sécurité » à l'Ukraine, y compris le déploiement de troupes sur le territoire ukrainien. Comme l'a annoncé jeudi le président français Emmanuel Macron après une réunion à Paris, 26 États au total participent à cette initiative. Mais tous ne veulent pas envoyer de soldats. Le chancelier allemand Friedrich Merz avait laissé entendre à la mi-août qu'il était prêt à le faire, mais il s'est montré plus prudent récemment. Wolfgang Ischinger, l'ancien chef de la Conférence de Munich sur la sécurité, a qualifié le débat sur l'envoi de militaires en Ukraine de « débat fantôme » : la Russie n'approuvera de toute façon pas ce plan, a-t-il dit. Moscou vient de le confirmer et annonce qu'elle continuera la guerre si on n'arrive pas à trouver une solution par la négociation. Le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, dit qu'il ne faut pas se soucier de « ce que la Russie pense au sujet des troupes en Ukraine ». L'OTAN a déjà ignoré les lignes rouges de Moscou au début de l'année 2021/22. On connaît les conséquences.
Envoyer des troupes
Une « coalition des volontaires » présidée par la France et la Grande-Bretagne a décidé hier, jeudi, de garantir la sécurité de l'Ukraine. C'est ce qu'a annoncé le président français Emmanuel Macron après une réunion de plus de 30 pays à Paris. Les pays européens étaient les plus représentés, mais le Canada, l'Australie et le Japon étaient aussi présents. Certains chefs d'État et de gouvernement, comme le chancelier allemand Friedrich Merz, ont participé à la réunion par vidéoconférence. Selon Macron, 26 des pays présents se sont engagés à participer à une « force de réassurance » qui, en cas de cessez-le-feu, enverrait immédiatement des troupes en Ukraine ou y serait « présente sur terre, sur mer ou dans les airs ».[1] Pour ça, on a mis au point « un plan militaire » qui est « solide » et qui doit protéger « notre ligne de défense », a ajouté Macron. On sait que les troupes des pays européens de l'OTAN ne seront pas postées sur la ligne de contact, mais bien plus en arrière, par exemple à Kiev ou à Odessa. Le président américain Trump aurait aussi promis, lors d'une visioconférence, que son pays participerait aux « garanties de sécurité », a-t-on dit à Paris. Selon le président français, les détails seront fixés dans les prochains jours.
Berlin reste ambivalent
Macron a aussi dit que l'Allemagne, l'Italie et la Pologne voulaient aussi contribuer activement aux « garanties de sécurité » ; mais que ces trois pays avaient « leurs propres modalités ». On savait déjà que Berlin, Rome et Varsovie étaient plutôt réticentes à l'idée d'envoyer des troupes en Ukraine.[2] Berlin avait envoyé des signaux assez contradictoires. À la mi-août, Merz avait encore dit qu'il faudrait bientôt voir s'il fallait « éventuellement prendre des décisions soumises à mandat ».[3] Il y a quelques jours, il a dit qu'il se demandait si l'envoi de la Bundeswehr en Ukraine « suscitait des réserves considérables pour la République fédérale d'Allemagne ». Selon un article du magazine Der Spiegel, le gouvernement fédéral serait prêt à renforcer la défense antiaérienne de l'Ukraine et à lui fournir des missiles de croisière ; en plus, on veut lui fournir du matériel pour quatre brigades d'infanterie mécanisées – 480 véhicules par an – et continuer à former des soldats ukrainiens.[4] Enfin, il est prévu une coopération intense entre les industries de l'armement allemande et ukrainienne. Rheinmetall et des start-ups allemandes spécialisées dans les drones travaillent déjà en étroite collaboration avec l'Ukraine (selon german-foreign-policy.com [5]).
« Absolument inacceptable »
Juste avant la réunion de la « coalition des volontaires » à Paris, la Russie avait réaffirmé qu'elle était prête à négocier une solution pacifique au conflit ukrainien. Cependant, le déploiement de troupes des pays de l'OTAN serait « absolument inacceptable » pour Moscou, a confirmé Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères : « La Russie n'a pas l'intention de discuter d'une intervention étrangère en Ukraine, qui serait fondamentalement inacceptable et compromettrait toute forme de sécurité ». Les « garanties de sécurité » qui incluent ça ne garantissent qu'une seule chose : « un danger pour le continent européen ».[6] Le contexte, c'est que l'objectif de guerre de Moscou est de faire de l'Ukraine un État neutre pour atténuer la menace stratégique que représente l'OTAN. Ça ne colle pas avec le déploiement de militaires de l'OTAN en Ukraine. Si une solution négociée s'avère impossible, la Russie « résoudra ses problèmes par la force », a dit le président Vladimir Poutine, en précisant que les forces armées russes étaient actuellement « à l'offensive ».[7] En même temps, l'Ukraine est de plus en plus sur la défensive sur le plan militaire ; récemment, Kiev a autorisé le recrutement d'hommes de plus de 60 ans, signe d'une pénurie flagrante de soldats.[8]
« Un débat fantôme »
Wolfgang Ischinger, ancien diplomate haut placé au ministère des Affaires étrangères et aujourd'hui président du conseil d'administration de la Conférence de Munich sur la sécurité, a récemment prévenu que la Russie n'accepterait pas le déploiement d'unités des pays de l'OTAN et qu'il était donc peu utile de s'engager prématurément sur des « garanties de sécurité » incluant un tel déploiement. Ischinger avait dit que le débat sur le déploiement de troupes européennes en Ukraine était un « débat fantôme » inutile ; Moscou ne donnerait finalement pas son accord à cette mesure, qui ne contribuerait donc pas à mettre fin à la guerre.[9] On ne sait pas si l'attaque des troupes russes en Ukraine hier jeudi doit être vue comme une sorte d'avertissement. Lors de cette attaque, deux employés d'une ONG danoise qui déminaient dans l'oblast de Tchernihiv ont été tués et trois autres ont été blessés. Selon les autorités de Tchernihiv, l'attaque était précisément ciblée.[10] Un sort similaire pourrait menacer les soldats occidentaux s'ils étaient déployés en Ukraine sans accord avec Moscou.
« Ce n'est pas leur affaire »
Malgré tout, le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, a dit hier jeudi qu'il était inutile de tenir compte du refus de la Russie d'accepter le déploiement de troupes des pays de l'OTAN en Ukraine. Ce n'est pas à la Russie de « décider » si les pays occidentaux envoient des militaires en Ukraine, a-t-il dit lors d'une conférence à Prague. « Pourquoi s'intéresser à ce que pense la Russie au sujet des troupes en Ukraine ? », a demandé Rutte : « Ce n'est pas son affaire. »[11] L'idée que les pays occidentaux peuvent réaliser leurs projets en Ukraine et avec l'Ukraine sans tenir compte des intérêts de la Russie et des lignes rouges de Moscou n'est pas nouvelle, mais elle a eu des conséquences désastreuses dans le passé. Comme l'a dit Jens Stoltenberg, le prédécesseur de Rutte, devant les députés du Parlement européen en septembre 2023, Poutine avait proposé à l'OTAN à l'automne 2021 de refuser par écrit l'adhésion de l'Ukraine à l'alliance militaire ; c'était une condition préalable posée par la Russie pour renoncer à envahir le pays. Convaincu que Moscou n'avait pas à obtenir des concessions de l'OTAN, Stoltenberg a déclaré en 2023 : « Bien sûr, nous n'avons pas signé. »[12] Les conséquences sont connues.
Plus d'infos sur le sujet : Pas de cessez-le-feu avec la Russie et Négociations à Istanbul.
[1] Vingt-six pays s'engagent à être présents « sur le sol, en mer ou dans les airs » pour garantir la sécurité de l'Ukraine, annonce Emmanuel Macron. lemonde.fr 04/09/2025.
[2] Emmanuel Macron : « Les États-Unis ont été très clairs sur leur volonté de faire partie des garanties de sécurité ». lemonde.fr 04/09/2025.
[3] Thomas Gutschker : Von der Leyen, Merz et les troupes terrestres. Frankfurter Allgemeine Zeitung 05/09/2025.
[4] Markus Becker, Matthias Gebauer, Paul-Anton Krüger : Berlin offre des garanties de sécurité à l'Ukraine. spiegel.de 04/09/2025.
[5] Voir à ce sujet L'Ukraine, plaque tournante de l'armement (II).
[6] Moscou rejette toute intervention étrangère en Ukraine. lemonde.fr 04/09/2025.
[7] La Russie atteindra ses objectifs « militairement » si les négociations échouent, dit Vladimir Poutine. lemonde.fr 04/09/2025.
[8] Richard Connor : Ukraine : Zelenskyy autorise les plus de 60 ans à s'engager dans l'armée. dw.com, 29 juillet 2025.
[9] Peter Carstens, Mona Jaeger : Juste pour dire. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 21 août 2025.
[10] Deux démineurs du Conseil danois pour les réfugiés tués par un bombardement russe près de Tchernihiv. lemonde.fr 04/09/2025.
[11] Ce n'est pas à la Russie de « décider » s'il doit y avoir des troupes étrangères en Ukraine en cas d'accord de paix, estime le chef de l'OTAN. lemonde.fr, 4 septembre 2025.
[12] Discours d'ouverture du secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, lors de la réunion conjointe de la commission des affaires étrangères (AFET) et de la sous-commission de la sécurité et de la défense (SEDE) du Parlement européen, suivie d'un échange de vues avec les membres du Parlement européen. nato.int, 7 septembre 2023.
