L'objectif de cinq pour cent de l'OTAN

L'OTAN discute de l'augmentation des dépenses militaires à cinq pour cent du PIB. L'OTAN veut étendre son système d'oléoducs au territoire de l'ancienne RDA, se heurtant ainsi une nouvelle fois au traité « deux plus quatre ».

BRUXELLES/BERLIN (rapport exclusif) - Les ministres des Affaires étrangères de l'OTAN se réunissent pour la première fois aujourd'hui à Antalya, en Turquie, afin d'examiner de nouveaux plans visant à porter les dépenses militaires à 5 % du produit intérieur brut (PIB). Il est prévu que 3,5 pour cent du PIB soient directement dépensés pour les forces armées et que 1,5 pour cent du PIB soit consacré aux préparatifs de guerre en matière d'infrastructures. L'augmentation pourrait être décidée de manière contraignante dans six semaines lors du sommet de l'OTAN à La Haye. Cinq pour cent du PIB représenteraient aujourd'hui 215 milliards d'euros pour l'Allemagne - 44 pour cent du budget actuel de près de 489 milliards d'euros. Dans le même temps, l'OTAN poursuit le développement de ses propres infrastructures, en complément des mesures de réarmement nationales. Selon certains rapports, le système d'oléoducs de l'OTAN, qui alimente notamment les bases aériennes militaires en carburant, doit être étendu au territoire de l'ancienne RDA - « aussi loin que possible à l'est, à proximité du théâtre d'opérations potentiel » dans une guerre contre la Russie. L'OTAN entre ainsi en conflit avec le traité « deux plus quatre », qui interdit toute présence militaire étrangère en Allemagne de l'Est. Il est déjà violé.

Armes et infrastructures

Le projet d'obliger tous les membres de l'OTAN à consacrer 5 % de leur PIB aux dépenses militaires est, selon certaines informations, poussé par le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, depuis son retour de discussions à Washington fin avril. Auparavant, il favorisait un montant de 3,5 pour cent du PIB, mais n'a pas réussi à obtenir l'aval du président US Donald Trump, selon des sources proches du dossier.[1] Rutte n'a réussi à négocier qu'un compromis selon lequel 3,5 % du PIB seraient directement affectés aux forces armées, tandis que 1,5 % du PIB servirait à rendre l'infrastructure entièrement opérationnelle. Le Premier ministre néerlandais, Dick Schoof, avait déjà fait état de ce plan vendredi dernier, et d'autres sources l'ont confirmé depuis. Le nouvel objectif de 5 % devrait être atteint en seulement sept ans, d'ici 2032 [2], mais les modalités concrètes de la part de 1,5 % - on parle d'une « composante douce » - font encore l'objet de débats sur la marge de manœuvre. Un certain nombre d'États souhaiteraient par exemple prendre en compte leurs dépenses en matière de cybersécurité ou de renforcement des frontières extérieures.[3] Il n'est pas certain qu'il y ait encore des objections de principe à l'objectif de 5 %.

Milliards et billions

L'augmentation des dépenses militaires qui s'annonce en Europe est colossale. En 2024, les États européens de l'OTAN ont déjà dépensé 476 milliards de dollars américains – soit 428 milliards d'euros au taux actuel – pour leurs forces armées. Pour atteindre 3,5 % du PIB, ils devraient augmenter leurs dépenses à 805 milliards de dollars américains, soit 725 milliards d'euros. Si l'on ajoute les dépenses pour les préparatifs de guerre en matière d'infrastructure, qui s'élèvent à 1,5 % du PIB, les dépenses totales de 5 % du PIB atteindraient 1 150 milliards de dollars américains, soit 1 035 milliards d'euros. La République fédérale d'Allemagne devrait augmenter son budget militaire (3,5 % du PIB) d'environ 52 milliards d'euros actuellement à 150 milliards d'euros ; les dépenses totales pour la préparation de guerre (5 % du PIB) s'élèveraient alors à 215 milliards d'euros. Si l'économie allemande devait croître à l'avenir, la part de l'armement augmenterait également avec le PIB. À titre de comparaison : le projet actuel de budget fédéral prévoit un peu plus de 22 milliards d'euros pour l'éducation et la recherche et 16,5 milliards d'euros pour la santé. Le poste budgétaire consacré à l'emploi et aux affaires sociales, qui comprend notamment les retraites et les prestations sociales – il s'agit à ce jour du poste le plus important du budget fédéral –, représente moins de 4,2 % du PIB.

La crise de la dette liée à l’armement

Les conséquences du projet de financement par la dette d'un armement sans précédent ne sont pas claires du tout.  Le Bundestag a déjà autorisé le nouveau gouvernement fédéral, avant même son entrée en fonction, à ignorer la règle d’équilibre budgétaire pour les dépenses liées aux infrastructures – y compris militaires – jusqu’à hauteur de 500 milliards d’euros, ainsi que pour les dépenses de la Bundeswehr, sans aucune limite. Si l'Allemagne peut encore se permettre actuellement d'augmenter rapidement sa dette pour financer son armement, d'autres États, tels que la France, l'Italie et l'Espagne, craignent déjà de sombrer dans une nouvelle crise de la dette compte tenu de leur niveau d'endettement déjà élevé. Un effondrement complet de l´économique européenne, provoqué par une crise de la dette liée à l’armement, n’est plus inconcevable.

À proximité de la zone d'intervention

Alors que le réarmement des pays de l'OTAN bat son plein depuis longtemps déjà, notamment en Allemagne (german-foreign-policy.com en a rendu compte [4]), l'alliance militaire envisage en outre de développer ses propres infrastructures, ce qui la met en conflit avec le traité deux plus quatre [5]. Il s'agit de systèmes de pipelines avec lesquels l'OTAN assure l'approvisionnement en carburant de ses forces armées, en particulier l'approvisionnement des avions en kérosène. Parmi ceux-ci, le Central European Pipeline System (CEPS) se distingue, qui alimente entre autres des bases aériennes militaires en Allemagne ; la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et des installations militaires US y sont également raccordés. Étant donné que les réservoirs appartenant au CEPS doivent être régulièrement vidés et remplis – le kérosène ne pouvant être stocké indéfiniment en raison de processus de décomposition –, les aéroports civils sont également raccordés au réseau de pipelines. Comme le CEPS a été construit pendant la guerre froide et n'a pas été agrandi depuis, l'Allemagne de l'Est n'y est pas encore raccordée. Selon une note interne du ministère de la Défense, l'OTAN souhaite désormais changer cela afin de permettre à l'avenir « un stockage du carburant aussi loin que possible à l'est, à proximité de la zone d'intervention potentielle ».[6]

« Briser la résistance »

Cela ne représente pas seulement des coûts élevés. Selon les informations du ministère, il faut compter environ un million d'euros par kilomètre de pipeline. Au total, on table sur 21 milliards d'euros, dont plus de 3,5 milliards seront pris en charge par Berlin, selon les déclarations du ministre de la Défense Boris Pistorius.[7] Mais surtout, l'extension du CEPS à l'ancienne RDA brise la décision prise dans le cadre du traité deux plus quatre de ne pas étendre le réseau de pipelines à cette région.[8] Le traité deux plus quatre stipule notamment que « les forces armées étrangères ne seront ni stationnées ni transférées dans cette partie de l'Allemagne ». Selon certaines informations, il serait non seulement question de construire un pipeline traversant le territoire de l'ancienne RDA vers la Pologne, mais aussi de raccorder des aéroports tels que Berlin-Brandebourg [9] ou Leipzig/Halle [10]. Le fait que le ministère de la Défense « réfléchisse déjà à la manière de briser la résistance attendue » montre à quel point les plans sont apparemment déjà concrets.Les citoyens, mais aussi les communes ou les Länder pourraient en effet s'opposer au projet, « par exemple en raison de la menace d'expropriation ou de préoccupations environnementales ».[11] Le gouvernement fédéral a toutefois récemment déclaré, en réponse à une question du député Sören Pellmann (Die Linke) au Bundestag, qu'il ne disposait « encore d'aucune information concrète » sur l'extension du CEPS.[12]

Rostock : rupture du traité

Berlin enfreint déjà le traité deux plus quatre avec la Commander Task Force Baltic (CTF Baltic), un quartier général tactique de l'OTAN basé à Rostock. Le ministère de la Défense a déclaré que la CTF Baltic était « un quartier général national à participation multinationale ». Il serait certes « dirigé par un amiral allemand », mais son adjoint serait un « amiral polonais » et un « officier d'état-major suédois » serait prévu comme chef d'état-major. [13] « Les postes de commandement subordonnés sont également occupés par des ressortissants de plusieurs pays », poursuit le communiqué. Il est difficile de comprendre comment cela est compatible avec l'interdiction de « stationner ou de déplacer des forces armées étrangères » sur le territoire de l'ancienne RDA. Le gouvernement fédéral allemand affirme néanmoins que l'affirmation selon laquelle le CTF Baltic violerait le traité deux plus quatre est inexacte. La Deutsche Welle, financée par le gouvernement, va même jusqu'à publier une « vérification des faits » pour contrer les critiques.[14] Avec l'extension vers l'est du réseau de pipelines de l'OTAN actuellement prévue, l'alliance militaire s'étend désormais encore davantage sur le territoire de l'ancienne RDA. Le traité deux plus quatre a une grande importance : il remplace le traité de paix qui n'a jamais été conclu par la République fédérale afin d'éviter le paiement d'indemnités. Si l'Allemagne le viole, d'autres États pourraient également ne plus se sentir liés par celui-ci.

 

[1] Thomas Gutschker : L'OTAN lutte pour des dépenses de cinq pour cent. Frankfurter Allgemeine Zeitung 13.05.2025.

[2] Lorne Cook, Mike Corder : Le chef néerlandais de l'OTAN insiste sur le fait que les alliés devraient dépenser au moins 3.5% du PIB sur les budgets de défense. independent.co.uk 09.05.2025.

[3] Thomas Gutschker : L'OTAN lutte pour des dépenses de 5 %. Frankfurter Allgemeine Zeitung 13.05.2025.

[4] Voir Conversion à rebours, Le continent de la guerre et Le gouvernement de l'armement en place.

[5] Le Traité de Moscou, également appelé Traité deux plus quatre, est le contrat qui a mis fin au conflit en Allemagne. Il a été négocié entre les deux États allemands (RFA et RDA) et les quatre puissances alliées de la Seconde Guerre mondiale (Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne, France).

[6], [7] Matthias Gebauer, Christoph Schult : Du carburant pour le flanc Est. spiegel.de 21.02.2025.

[8] Jens Koenen, Christoph Schlautmann : Plaque tournante de l'OTAN - L'armée allemande appelle les groupes logistiques à l'aide. handelsblatt.com 22.04.2025.

[9] Matthias Gebauer, Christoph Schult : Du carburant pour le flanc Est. spiegel.de 21.02.2025.

[10] Jens Koenen, Christoph Schlautmann : Plaque tournante de l'OTAN - L'armée allemande appelle des groupes logistiques à l'aide. handelsblatt.com 22.04.2025.

[11] Matthias Gebauer, Christoph Schult : Du carburant pour le flanc Est. spiegel.de 21.02.2025.

[12] Réponse du gouvernement fédéral à la question écrite 4/291 du député Sören Pellmann du 29 avril 2025. Berlin, 07.05.2025.

[13] Pistorius inaugure un nouveau quartier général tactique maritime pour l'OTAN. bmvg.de 15.10.2024. Voir aussi La garde de la mer Baltique.

[14] Rayna Breuer, Tetyana Klug : Vérification des faits : La présence de l'OTAN viole-t-elle le traité 2+4 ? dw.com 16.10.2024.


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