Commandement de l'Ukraine à Wiesbaden
L'OTAN met en place un nouveau commandement à Wiesbaden pour coordonner la participation indirecte de ses Etats membres à la guerre en Ukraine. A Wiesbaden, des généraux US ont participé à l'élaboration des stratégies de guerre de Kiev.
WASHINGTON/WIESBADEN (rapport exclusif) – Les plans de bataille ukrainiens de l'année dernière ont été développés en grande partie à Wiesbaden. C'est ce que révèlent les médias états-uniens. Selon ces informations, des généraux des Etas-Unis basés à Wiesbaden ont reçu à plusieurs reprises des militaires et des politiciens ukrainiens de premier plan afin de « discuter » de leur stratégie de guerre. Le commandement US à Wiesbaden, qui organise le soutien militaire de l'Ukraine, est actuellement en train d'être transformé en commandement de l'OTAN ; à l'avenir, il coordonnera depuis Wiesbaden, sous le nom de NSATU (NATO Security Assistance and Training for Ukraine), le réarmement des forces armées ukrainiennes contre la Russie. Le gouvernement allemand en particulier s'était opposé à la dénomination initialement prévue de « Mission OTAN Ukraine » afin d'éviter, du moins dans le nom, toute allusion à une opération militaire régulière - en fait contre la Russie. La nouvelle structure doit notamment assurer le lien militaire à long terme de l'Ukraine avec l'OTAN et ses industries d'armement. Le fait que le commandement ne soit plus seulement soumis aux Etats-Unis mais à l'alliance occidentale renforce l'influence de Berlin par rapport à celle de Washington.
Centre de planification pour la guerre en Ukraine
Depuis la première année de la guerre, Wiesbaden est un centre de contrôle de l'influence états-uniens sur la guerre en Ukraine. La base militaire américaine qui s'y trouve est, depuis 2012, le quartier général des forces terrestres américaines en Europe. L'armée US l'utilise pour organiser la formation des soldats ukrainiens sur les systèmes d'armement américains. Les formations sont principalement réalisées sur le terrain d'entraînement militaire de Grafenwöhr en Bavière. Là-bas, des soldats américains et ukrainiens s'exercent ensemble à la guerre contre la Russie dans le « Camp Kherson », une partie du terrain d'entraînement militaire qui est nommée d'après la grande ville du sud de l'Ukraine. Dès 2022, le général en chef états-uniens en Europe et commandant suprême de l'OTAN, Christopher Cavoli, avait présenté un plan visant à centraliser la formation et l'armement de l'armée ukrainienne sous un commandement unique basé à Wiesbaden. Ce commandement devait compter environ 300 soldats. Le New York Times avait alors rapporté que des responsables américains discutaient du plan du général sans en faire publiquement mention, afin d'« éviter » d'alimenter le « récit » selon lequel la Russie serait en « guerre » non pas contre l'Ukraine, mais « contre les États-Unis et l'OTAN ».[2]
Jeux de guerre
L'année dernière, des généraux américains ont notamment organisé des « war games » à Wiesbaden pour « déterminer les prochaines étapes des reconquêtes territoriales » avec les autorités ukrainiennes, comme le rapporte le New York Times. Sur de grandes tables avec des cartes et des pions, les généraux américains ont « répété » avec les Ukrainiens « des options pour une offensive » et ont décidé des risques et des avantages « d'une variété de coups que l'Ukraine pourrait prendre contre les positions russes » dans les mois à venir.[3] Des tables de planification dans les casernes de Wiesbaden, on s'est d'abord rendu sur des terrains d'entraînement militaires allemands où les soldats ukrainiens s'entraînaient à percer les positions russes sous la direction des États-Unis.[4] Selon le New York Times, l'administration Biden s'inquiétait à l'époque qu'une « participation américaine à la guerre » de facto ne provoque une escalade des tensions avec la Russie, voire ne déclenche un conflit majeur.[5]
Tensions dans les propres rangs
Les tensions entre les Etats-Unis et les autorités ukrainiennes n'ont pas manqué. Pour ce qui est de la question de savoir si la Crimée ou la région du Donbass devait être priorisée, il y aurait eu de "vives divergences d'opinion" entre Washington et Kiev, dit-on. La controverse portait également sur le fait que les Forces armées US s'inspiraient de leur approche lors des guerres en Afghanistan et en Irak pour former l'armée ukrainienne. La guerre menée par les Etats-Unis était marquée par un déséquilibre flagrant : alors que les généraux US développaient les stratégies de guerre, ce sont surtout les soldats irakiens ou afghans qui risquaient leur vie pour mettre en pratique les directives des États-Unis. Il en va de même pour les militaires ukrainiens. Des hauts responsables du gouvernement US ont rapidement déclaré qu'ils étaient « ouverts » à « certaines des nouvelles idées » des Ukrainiens.[6] Dans une récente déclaration du Conseil OTAN-Ukraine, on peut lire qu'ils « travaillent et décident ensemble, sur un pied d'égalité ».[7]
Du contrôle des États-Unis au contrôle de l'alliance
Le commandement US initié il y a deux ans par le général Cavoli, qui comptait au départ 300 soldats, se transforme maintenant en un commandement de l'OTAN avec environ 700 soldats des pays de l'OTAN et des pays alliés. L'OTAN a annoncé qu'elle travaillait depuis quelques mois déjà à la mise en place du commandement et que la nouvelle structure devrait commencer à fonctionner dans les semaines à venir. L'alliance militaire affirme régulièrement que le commandement ne fait pas de l'OTAN une partie au conflit, mais cette opinion n'est pas partagée par tous. La mission officielle du nouveau commandement est, entre autres, de former les soldats ukrainiens et de coordonner les livraisons d'armes dans le but de « façonner le développement à long terme des forces armées ukrainiennes » [8], ce qui garantira à long terme le rattachement de l'Ukraine à l'OTAN au niveau militaire. D'une planification à long terme du soutien militaire à l'Ukraine bénéficient également les entreprises d'armement occidentales, dans les caisses desquelles afflue finalement une grande partie des fonds destinés au renforcement de l’Ukraine.
Tiraillements entre alliés
La décision de placer la participation indirecte(des états-unis) à la guerre, organisée jusqu'à présent par le centre de planification de Wiesbaden, sous le commandement de l'OTAN plutôt que sous celui des États-Unis, vise à empêcher la dissolution du centre par un éventuel futur président américain Donald Trump. L'objectif est de rendre l'installation « à l'abri de Trump ». Ce transfert de la coordination des États-Unis vers l'OTAN ouvre de nouvelles perspectives pour les politiciens allemands. Alors qu'auparavant seul un général américain décidait des actions à entreprendre, un Allemand sera désormais impliqué en tant que commandant adjoint aux côtés de l'Américain.
Lors des deux dernières campagnes électorales US, les politiciens allemands avaient déjà profité de l'« impulsion Trump » pour réclamer une politique de puissance germano-européenne indépendante des Etats-Unis - ce que l'on appelle l'autonomie stratégique.[9] Depuis, Berlin cherche à accroître l'influence allemande au sein de l'OTAN afin de rééquilibrer le rapport de forces au sein de l'alliance, jusque-là dominée par les États-Unis. Dans ce contexte de luttes de pouvoir internes à l'alliance, les États-Unis maintiennent la Ukraine Defense Contact Group (« Groupe de Ramstein ») en tant que structure parallèle dirigée par les Américains à l'OTAN.
[1] Voir à ce sujet L'Allemagne, plaque tournante de la guerre, et Les slogans d'endurance de Berlin (II).
[2] Pentagon Plans to Set Up a New Command to Arm Ukraine, Officials Say. nytimes.com 29.09.2022.
[3] À la base des États-Unis en Allemagne, lʼarmée dʼUkraine organise des jeux de guerre. nytimes.com 02.03.2023.
[4] U.S. et Ukraine Search for a New Strategy After Failed Counteroffensive. nytimes.com 11.12.2023.
[5] À la base des États-Unis en Allemagne, lʼarmée dʼUkraine organise des jeux de guerre. nytimes.com 02.03.2023.
[6] U.S. et Ukraine Search for a New Strategy After Failed Counteroffensive. nytimes.com 11.12.2023.
[7] Déclaration du Conseil OTAN-Ukraine émise par les chefs d'État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil OTAN-Ukraine à Washington, D.C., 11.07.2024.
[8] NATO Security Assistance and Training Ukraine is assisting Ukraine. shape.nato.int 11.07.2024.
[9] Voir à ce sujet Politique mondiale après Obama (II), « Rendre l'Europe plus forte » et Dans l'ombre de Trump.
[10] L'OTAN va offrir à l'Ukraine un ʻpontʼ vers l'adhésion, en espérant que cela suffise. nytimes.com 26.06.2024.
