« Rappel national en Europe »
Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen devient la première force lors aux élections lé-gislatives en France. Des conseillers du gouvernement soulignent des parallèles entre la domination allemande dans l'UE et la montée en puissance du RN.
PARIS/BERLIN (rapport spécial) - Des conseillers du gouvernement berlinois soulignent des parallèles entre la do-mination de l'Allemagne dans l'UE et la montée en puissance du Rassemblement national (RN). Le RN avertit régulièrement que la République fédérale cherche « non seulement une domination éco-nomique mais aussi militaire » et affaiblit donc « délibérément les positions françaises », selon la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP). L'argument fait effet. Juste avant le premier tour des élections législatives d'hier, un stratège principal du RN a exposé au public allemand com-ment son parti gouvernerait en cas de victoire électorale. Ainsi, une « rupture avec l'UE » doit être évitée : le RN vise une politique étrangère « pragmatique » et ne lancera pas non plus de politiques économiques unilatérales. Cependant, le parti voit l'UE face à une vague de « rappel national ». Alors que le RN devient la première force après le premier tour des élections, les conservateurs Les Républicains refusent explicitement de donner des consignes de vote contre le RN pour le second tour. La coalition autour du parti présidentiel Renaissance n’appuiera pas les politiciens de La France Insoumise (LFI) dans la lutte contre le RN.
La Première Force
Le Rassemblement national (RN) a de nouveau augmenté sa part de voix aux premier tour des élections législatives hier dimanche. Alors qu'il avait obtenu environ 18,7 % aux élections législatives de 2022, il a cette fois-ci atteint 33,2 % selon les dernières estimations. Il devance ainsi clairement le Nouveau Front populaire (NFP), qui a obtenu 28,1 %, et la coalition Ensemble autour du parti Renaissance du président Emmanuel Macron, qui a atteint 21,0 %. Les conservateurs Les Républicains ont enregistré 10,0 %. La montée en puissance du RN se manifeste clairement par l'augmentation du nombre absolu de voix, passant de 4,2 millions en 2022 à – selon des estimations provisoires – 11,9 millions. Peu avant minuit, le ministère de l'Intérieur parisien avait déjà noté 66 candidats élus directement, dont 38 appartiennent au RN. 21 sont membres du NFP, deux viennent de la coalition présidentielle Ensemble.
« Le danger vient de la gauche »
Il est incertain si le RN peut atteindre son objectif de remporter la majorité absolue des sièges à l'Assemblée Nationale au second tour dimanche prochain. Cela dépend en partie de si les électeurs des candidats éliminés se décident pour ou contre le RN ; et en partie si les candidats qualifiés en troisième position pour le second tour retirent volontairement leur candidature pour favoriser une majorité contre le RN. Déjà dans les premières heures après les élections, plusieurs politiciens de divers partis ont pris position. Les partis du NFP ont appelé en toutes circonstances à voter pour les candidats restants contre le RN et retireront également, en toutes circonstances, les candidats NFP en troisième position. Les conservateurs Les Républicains (LR), en revanche, ont exprimé une position différente. Leur vice-président François-Xavier Bellamy a refusé de donner des consignes de vote en déclarant que son parti croit « en la conscience des Français », mais pas au fait qu'ils « pourraient disposer de leurs voix ». Bellamy a poursuivi : « Le danger qui menace aujourd'hui notre pays est l'extrême gauche. »[1]
« Pas de voix pour les extrêmes »
Il n'y a pas non plus eu de position claire de la part d'Ensemble, la coalition autour du parti Renaissance du président Emmanuel Macron. Une déclaration de la coalition indiquait que « tout » dans le RN constitue « une menace inacceptable contre laquelle nous devons lutter ». Cependant, les candidats en troisième position ne devraient se retirer qu'au profit de candidats partageant « les valeurs de la République ». Un membre influent du NFP, le parti de gauche La France insoumise (LFI), est cependant connu pour ses « exagérations anti-républicaines ».[2] Dimanche soir, les déclarations de divers politiciens de Renaissance, le parti de Macron, se résumaient visiblement à ne pas retirer les troisièmes places en faveur des candidats de LFI et à ne pas appeler à voter pour des politiciens de LFI. Par exemple, Renaud Muselier (Renaissance), président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur, a demandé qu'il n'y ait « pas une seule voix pour les extrêmes » - « à commencer par le Rassemblement national ».[3] Concrètement, la coalition présidentielle a déclaré qu'elle soutiendrait le candidat François Ruffin, proche de la LFI mais non membre. En revanche, ils ne soutiendraient pas le candidat LFI Raphaël Arnault. Cela pourrait priver Arnault, qui se trouve dix points de pourcentage derrière une candidate du RN, des 16 points de pourcentage d'une candidate de Renaissance éliminée.
Modèle de Meloni
Ce à quoi il faut s'attendre en cas de victoire du RN, a été décrit juste avant l'élection par le principal conseiller politique de Marine Le Pen, Philippe Olivier. Selon lui, la transition du pouvoir en Italie vers la première ministre Giorgia Meloni est un modèle pour le RN. Meloni est issue du néofascisme italien, mais elle est modérée et coopère étroitement avec l'actuelle et probablement future présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen[4]. Un éventuel premier ministre RN, Jordan Bardella, sera « pragmatique » en politique étrangère et soutiendra par exemple l'armement de l'Ukraine. En outre, il confiera la direction du ministère de l'économie et des finances à une « personnalité compétente et reconnue par tous » - tout comme Meloni a nommé de manière ciblée un ministre des finances, Giancarlo Giorgetti, qui jouit de la « confiance de Mario Draghi ».[5] Comme Meloni, le RN ne veut « pas de rupture avec l'UE ». Cependant, le RN revendique le droit de proposer le commissaire européen français, et il renforcera par exemple les mesures contre l'immigration indésirable. Surtout, une victoire du RN renforcerait la vague de « rappel national » en Europe, estime Olivier : « Un jour ou l'autre », l'Allemagne devra se demander si elle n'est pas « en train de rouler à contresens en Europe ».
La domination de l'Allemagne
Avant même les élections, des conseillers du gouvernement berlinois avaient souligné qu'il existe un certain lien entre la domination allemande dans l'UE et la montée de l'extrême droite en France. Ainsi, le RN accuse l'UE d'un « renforcement insidieux du pouvoir » - et présente souvent l'Allemagne « comme le tireur de ficelles et le profiteur de cette évolution », peut-on lire dans une étude récente de la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP)[6]. Dans ce contexte, le RN s'est longtemps focalisé sur « la domination économique » de la République fédérale ; ainsi, lors de la campagne présidentielle de 2017, Marine Le Pen a accusé l'ancien ministre de l'économie Emmanuel Macron de « n'avoir rien fait contre cette domination ». Entre-temps, surtout depuis le début de la guerre en Ukraine, « les ambitions allemandes en matière de politique étrangère et de sécurité sont également thématisées »; par exemple, « l'inquiétude » est exprimée que l'Allemagne « veut acquérir une domination militaire en plus de la domination économique » - et qu'elle affaiblit donc « délibérément les positions françaises ». Il est vrai que Berlin cherche constamment à faire valoir ses intérêts contre Paris (german-foreign-policy.com a rapporté [7]). La DGAP conseille : « L'objectif minimal devrait être d'éviter à tout prix de donner l'impression d'une ingérence allemande dans la politique française ».
[1] Législatives: LR ne donne pas de consigne de vote pour le second tour. bfmtv.com 30.06.2024.
[2], [3] En direct, résultats législatives 2024. lemonde.fr 30.06.2024.
[4] Voir Europa auf dem Weg nach rechts et Europa auf dem Weg nach rechts (III).
[5] Michaela Wiegel: Wenn die Rechtspopulisten Frankreich regieren würden. Frankfurter Allgemeine Zeitung 29.06.2024.
[6] Jacob Ross, Nicolas Téterchen: Die Anti-Macrons. Frankreichs Rechtsaußen und ihre Vision der EU. DGAP Policy Brief No. 9. Berlin, 06.06.2024.
[7] Voir Deutsch-französische Konflikte et Schlechte Signale.