Le nouveau pacte transatlantique
La nouvelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis vise à reformer le pacte transatlantique sur une base ouvertement raciste, voire fasciste. Elle reste axée sur la lutte contre la Chine, désor-mais également en Amérique latine.
WASHINGTON/BRUXELLES (rapport exclusif) – La nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis vise à reformer l'al-liance transatlantique sur une base ouvertement raciste, voire fasciste. Comme l'indique le docu-ment publié à la fin de la semaine dernière, les Etats-Unis souhaitent continuer à bénéficier du soutien de l'Europe pour atteindre leurs objectifs mondiaux. Toutefois, cela doit se faire sur une nouvelle base. Les États de l'UE étant menacés d'« extinction civilisationnelle » en raison de leur immigration, Washington doit les « aider » à « corriger leur trajectoire actuelle ». Les « partis pa-triotiques » sont expressément salués ; parmi eux figure notamment l'AfD, qui a ouvertement sou-tenu l'administration Trump. Les réactions des partis au pouvoir à Berlin sont mitigées. La lutte pour le pouvoir contre la Chine reste au cœur du document stratégique des Etats-Unis. L'adminis-tration Trump l'étend désormais explicitement à l'Amérique latine. Le document stratégique des Etats-Unis qualifie l'accent mis sur le renforcement de la présence économique et militaire améri-caine sur le sous-continent d'« ajout Trump » à la doctrine Monroe, qui revendique l'Amérique la-tine comme sphère d'influence exclusive des Etats-Unis.
Le contrôle des chaînes d'îles
La nouvelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis reste axée sur la grande lutte pour le pouvoir entre les Etats-Unis et la République populaire de Chine. Comme l'indique le document, Washington doit rendre le commerce avec la Chine « plus équilibré » et veiller à ce qu'il se limite à des « facteurs non sensibles » afin d'éviter toute dépendance vis-à-vis de la République populaire.[1] Dans le même temps, la présence militaire US-dans la région Asie-Pacifique sera encore renforcée. L'accent est donc mis sur la première chaîne d'îles, qui s'étend du Japon à Taïwan et aux Philippines ; Washington exige de ces pays un accès encore plus facile pour ses forces armées et un réarmement considérablement accru. Les Etats-Unis accordent une importance particulière au contrôle de Taïwan, « en partie » parce que l'île dispose de capacités indispensables dans la production de semi-conducteurs, mais « surtout » parce qu'elle offre « un accès direct à la deuxième chaîne d'îles » : Si Pékin contrôlait Taïwan, les forces armées chinoises auraient la possibilité de se diriger vers le Pacifique, en particulier vers la colonie américaine de Guam, située sur la deuxième chaîne d'îles. En outre, le document US-indique qu'un autre « défi » réside dans le fait qu'un rival pourrait contrôler la mer de Chine méridionale : la Chine.
« Ajout Trump » à la doctrine Monroe
La stratégie de sécurité nationale apporte un changement radical pour l'Amérique latine. Au cours des deux dernières décennies, l'influence économique de la Chine y a considérablement augmenté. À l'exception du Mexique, la Chine est aujourd'hui le plus grand partenaire commercial du sous-continent et y a massivement investi dans des infrastructures importantes, des ports aux réseaux 5G. La nouvelle stratégie de sécurité des Etats-Unis stipule désormais que Washington réaffirmera sa « suprématie » dans la région. Pour ce faire, toute forme d'« intrusion étrangère hostile » doit être stoppée.[2] Le document met particulièrement l'accent sur la nécessité de contrôler les matières premières du sous-continent, notamment les immenses ressources en lithium de l'Argentine, de la Bolivie et du Chili. Il indique également qu'une présence militaire renforcée est envisagée. Dans les Caraïbes, les États-Unis développent déjà d'anciennes et de nouvelles bases militaires (german-foreign-policy.com en a fait état [3]). Le document des USA qualifie le projet visant à évincer si possible la présence économique importante de la Chine d'Amérique latine de « corollaire Trump » à la doctrine Monroe. Proclamée le 2 décembre 1823 par le président américain James Monroe, cette doctrine déclarait toute l'Amérique latine sphère d'influence exclusive des États-Unis.
Perte d'importance
La nouvelle stratégie de sécurité nationale accorde nettement moins d'importance au Proche et au Moyen-Orient. Pendant des décennies, la région a été le principal fournisseur d'énergie au monde, indique le document. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, notamment parce que les États-Unis sont devenus un exportateur net d'énergie grâce à leur offensive en matière de fracturation hydraulique.[4] On s'efforcera donc uniquement d'empêcher les puissances adverses d'exercer une influence dominante au Proche et au Moyen-Orient. Pour l'Afrique, la stratégie des USA prévoit uniquement un rôle de fournisseur de matières premières essentielles.
« Effacement civilisationnel »
Le document US-contient une déclaration de guerre ouverte à l’UE. Selon la stratégie de sécurité nationale, la part des 27 États membres actuels dans la performance économique mondiale, calculée selon la parité de pouvoir d'achat (PPP), est passée de 25 % en 1990 à seulement 14 % en 2025.[5] Le déclin économique relatif de l'UE serait toutefois éclipsé par « la perspective réelle et encore plus menaçante d'une extinction de la civilisation ». La cause en serait une politique migratoire « qui transforme le continent et sème la discorde ». Cela s'accompagne d'une « répression de l'opposition politique » – c'est-à-dire des forces d'extrême droite – et d'une « perte d'identité nationale et de confiance en soi ». Si ces tendances se poursuivent, « le continent sera méconnaissable dans 20 ans, voire moins ». Il serait « plus que plausible » que « certains membres de l'OTAN soient bientôt majoritairement non européens ». La question de savoir s'ils maintiendraient alors « leur position dans le monde » et en particulier « leur alliance avec les États-Unis » resterait « ouverte ».
« Partis patriotiques »
Cela va toutefois à l'encontre d'intérêts états-uniens importants, poursuit le document ; l'Europe reste avant tout « d'une importance stratégique et culturelle cruciale pour les États-Unis ».[6] La technologie européenne et le commerce transatlantique constituent ainsi un pilier important « de la prospérité américaine » ; sur le plan stratégique également, « l'aide européenne » reste d'une importance capitale pour les Etats-Unis. « Nous ne pouvons pas nous permettre de faire une croix sur l'Europe », constate la stratégie de sécurité américaine. L'objectif de Washington doit donc être « d'aider l'Europe à corriger son cap actuel ».L'Europe doit « rester européenne » et « retrouver sa confiance en sa civilisation ». Pour cela, il faut « cultiver la résistance contre la trajectoire actuelle de l'Europe au sein des nations européennes ». C'est pourquoi il faut « encourager ses alliés politiques en Europe » à renforcer à nouveau le « caractère individuel » des « nations européennes ». Bien sûr, « l'influence croissante des partis patriotiques en Europe » est déjà « source d'un grand optimisme », poursuit le document stratégique. Il fait référence au renforcement des forces d'extrême droite, voire fascistes, dans toute l'Europe, qui est systématiquement encouragé par la droite trumpienne (german-foreign-policy.com en a rendu compte [7]).
« Point de départ pour une coopération renforcée »
L'intention manifeste de reformer le pacte transatlantique sur une base ouvertement raciste, voire fasciste, dans le cadre d'une alliance entre l'administration Trump et les forces d'extrême droite en Europe, est saluée par l’AfD. Le député européen de l'AfD Petr Bystron est ainsi cité comme ayant déclaré : « C'est une reconnaissance directe de notre travail ».[8] Les groupes parlementaires des partis au pouvoir à Berlin expriment des avis mitigés. Adis Ahmetovic, porte-parole du groupe SPD au Bundestag pour les affaires étrangères, réclame ainsi « une Europe unie, confiante et plus forte » afin de s'opposer à la demande d'un durcissement de la politique de droite, y compris en République fédérale.[9] Le responsable de la politique étrangère de la CDU, Roderich Kiesewetter, met également en garde contre le fait que « l'Europe » ne doit en aucun cas devenir « l'objet de la politique de puissance des États-Unis ».[10] Jürgen Hardt (CDU), porte-parole du groupe CDU/CSU au Bundestag chargé des affaires étrangères, se montre plus ouvert. « L'Allemagne et l'Europe continuent de jouer un rôle central en tant que partenaires dans la stratégie du président US », se félicite Hardt : « Cette stratégie n'est donc pas un adieu, mais peut plutôt être un point de départ pour des efforts accrus en faveur de la coopération transatlantique. »[11] Cela se ferait bien sûr selon la volonté de l'administration Trump sur une base d'extrême droite, par exemple en coopération avec l’AfD.
[1], [2] National Security Strategy of the United States of America. November 2025.
[3] Voir à ce sujet Die Militarisierung der Karibik [La militarisation des Caraïbes] et Des assassinats par drone aux meurtres en mer.
[4], [5], [6] National Security Strategy of the United States of America. November 2025.
[7] Voir à ce sujet « Tirer les leçons de la tornade Trump » et „Kein Platz für Brandmauern“ (II) . [« Pas de place pour les murs coupe-feu » (II)].
[8] Sofia Dreisbach, Thomas Gutschker, Eckart Lohse, Friedrich Schmidt: Kalte Dusche für Europa. [ Douche froide pour l'Europe.] Frankfurter Allgemeine Zeitung 08.12.2025.
[9], [10] Caspar Schwietering: Nach Trumps Kampfansage an Europa: Deutsche Außenpolitiker fordern von der Bundesregierung Distanz zu den USA. [Après la déclaration de guerre de Trump à l'Europe : les responsables allemands de la politique étrangère demandent au gouvernement fédéral de prendre ses distances avec les États-Unis.] Tagesspiegel.de 07.12.205.
[11] Sofia Dreisbach, Thomas Gutschker, Eckart Lohse, Friedrich Schmidt: Kalte Dusche für Europa. [Douche froide pour l'Europe.] Frankfurter Allgemeine Zeitung 08.12.2025
