« Tirer les leçons de la tornade Trump »

Le futur ambassadeur américain auprès de l'UE est un collaborateur de la Heritage Foundation de Washington, qui coopère étroitement avec les partis d'extrême droite en Europe et vise à transformer l'UE en une Europe des nations.

WASHINGTON/BRUXELLES (rapport exclusif) – Un collaborateur d'une organisation américaine ayant des liens étroits avec l'extrême droite en Europe est sur le point de devenir ambassadeur des États-Unis auprès de l’UE. Andrew Puzder, le dirigeant de fast-food que la Heritage Foundation à Washington compte parmi ses Distinguished Visiting Fellows, aurait, selon les rapports, survécu de justesse à son audition au Sénat américain mardi et pourrait désormais être nommé ambassadeur à Bruxelles. Proche des républicains américains, la Heritage Foundation suit la ligne de Trump depuis que son président actuel, Kevin Roberts, a pris ses fonctions en décembre 2021. Avec son Project 2025, l'association a rédigé une sorte de plan directeur pour l'administration Trump, dont plusieurs éléments importants ont depuis été intégrés dans la politique du gouvernement américain. En Europe, la Heritage Foundation collabore avec la Hongrie, dont le Premier ministre Viktor Orbán fait son éloge. Elle coopère également avec les Patriots for Europe (PfE), qui regroupent divers partis d'extrême droite en Europe. Elle vise à transformer l'UE en une confédération d'États plus souple, sur le modèle d'une Europe des nations populaire parmi l'extrême droite.

Des machines courtoises

Au cours de sa carrière professionnelle, Andrew Puzder s'était d'abord fait connaître comme opposant au droit à l'avortement avant de prendre, en septembre 2000, la direction de CKE Restaurants, une entreprise multimilliardaire qui exploite plusieurs chaînes de restauration rapide. Il a occupé ce poste jusqu'en mars 2017. Il s'est fait connaître du grand public en décembre 2016 lorsque Donald Trump l'a choisi pour occuper le poste de ministre du Travail dans son premier gouvernement. Puzder a échoué : lorsqu'il est devenu évident qu'il n'obtiendrait pas la majorité nécessaire au Sénat pour être confirmé, il a retiré sa candidature. Auparavant, il avait été rapporté qu'il était un fervent opposant au salaire minimum et qu'il s'était également prononcé contre l'accès à des heures supplémentaires rémunérées pour des millions de travailleurs.[1] Il avait également affirmé une fois qu'il était favorable à l'automatisation des usines, car les machines sont « toujours polies », ne prennent pas de vacances et ne sont jamais en retard.[2] Cependant, au Sénat, l’élément décisif a été le refus de plusieurs républicains de soutenir Puzder, après que l’on eut révélé qu’il avait employé une migrante en situation irrégulière comme employée de maison sans payer les taxes correspondantes.[3] Quant aux allégations de violences conjugales portées contre lui par son ancienne épouse, les deux parties les nient aujourd’hui.

De nouvelles normes

Puzder, qui avait déjà soutenu financièrement la campagne électorale de Trump en 2016, est resté dans l'entourage proche du président US après l'échec de sa candidature au poste de secrétaire au Travail. Dans l'intervalle, il a été pressenti pour devenir son porte-parole en matière de politique économique.[4] Deux jours après sa deuxième investiture, le 22 janvier 2025, Trump a de nouveau nommé Puzder à un poste influent, cette fois-ci celui d'ambassadeur US auprès de l'UE. Sa nomination requiert à nouveau l'approbation d'une majorité du Sénat, et l'audition à ce sujet a eu lieu mardi à Washington. Selon certaines sources, M. Puzder aurait reçu un « accueil beaucoup plus chaleureux » qu'il y a huit ans, et les anciennes accusations portées contre lui n'auraient guère été prises en compte [5], ce qui s'expliquerait par le fait que l'évaluation du comportement « acceptable pour un poste de haut niveau dans l'administration » a considérablement changé au cours de la première présidence de M. Trump ainsi qu'au début de sa seconde. Pete Hegseth, le secrétaire américain à la Défense, a également été accusé d'agression sexuelle, mais cela ne l'a pas empêché de prendre ses fonctions.[6]

« America First » à Bruxelles

La nomination de Puzder est d'autant plus remarquable qu'il a récemment travaillé pour l'Heritage Foundation de Washington en tant que Distinguished Visiting Fellow for Business and Economic Freedom.[7] L'Heritage Foundation salue donc la nomination de Puzder au poste d'ambassadeur des US auprès de l'UE. Il s'agit d'une « étape cruciale dans la promotion du principe “America First” au niveau mondial ».[8] De son côté, l'Heritage Foundation, une organisation fondée en 1973 et proche des républicains, s'est alignée sur la ligne politique de Trump avec l'arrivée au pouvoir de son président actuel, Kevin Roberts, en décembre 2021. Elle a fait les gros titres avec le Project 2025, un document stratégique rédigé à l'avance pour servir de plan directeur à la seconde présidence de Trump et dont les principaux éléments sont désormais mis en œuvre par l'administration Trump. En ce qui concerne l'Europe, le document indique que Washington doit améliorer les relations économiques entre l'UE et les Etats-Unis en faveur de ces derniers. Mais il faut également renforcer le commerce transatlantique afin de « libérer l'Europe de sa dépendance à l'égard de la Chine » [9] et développer le commerce avec le Royaume-Uni afin d'éviter que Londres ne « revienne dans l'orbite de l'UE ». Il faut en outre gagner de « nouveaux alliés au sein de l'UE ».

Point de repère : la Hongrie

L'Heritage Foundation elle-même a commencé à s'orienter vers une coopération étroite avec la Hongrie du Premier ministre Viktor Orbán au sein de l'UE très peu de temps après l'entrée en fonction de son président Roberts. Ainsi, en novembre 2022, Roberts a reçu Orbán à Washington pour un entretien - et a ensuite fait l'éloge du développement de la Hongrie sous sa direction. L'année suivante, Heritage Foundation et le Danube Institute de Budapest - un groupe de réflexion fondé en 2013 et proche d'Orbán - ont conclu un accord de coopération étroite.[10] En outre, l'organisation US a depuis commencé à travailler avec le groupement Patriots for Europe (PfE), qui regroupe un certain nombre de partis d'extrême droite d'États membres de l'UE, dont le parti d'Orbán, le Fidesz, le Rassemblement national (RN) français, le FPÖ, le Vlaams Belang belge, la Lega italienne, Vox espagnole et la Chega portugaise. Une délégation de PfE, qui s'est rendue à Washington pour l'investiture de Trump, y a également été reçue par Heritage Foundation. Le 7 mars, en marge d'une assemblée générale de la PfE à Madrid, le président d'Heritage Roberts y a rencontré des dirigeants des partis de la PfE.[11] « La droite européenne », a-t-on dit ensuite à l'Heritage Foundation, « nous apprenons de la tornade Trump ».[12]

L'Europe des nations

L'orientation politique que la Heritage Foundation poursuit à travers ses activités au sein de l'UE est illustrée de manière exemplaire dans un document stratégique qui a été discuté le 11 mars par des représentants de l'organisation et des représentants d'associations européennes qui lui sont proches. Il s'agit d'une part du Mathias Corvinus Collegium (MCC) hongrois, proche de Viktor Orbán, et d'autre part de l'Ordo Iuris Institute for Legal Culture polonais, proche du parti Prawo i Sprawiedliwość (PiS) de Jarosław Kaczyński. Le document prévoit une refonte complète de l'UE. Les compétences des États nationaux doivent être renforcées, tandis que celles des appareils bruxellois doivent être réduites.[13] L'objectif de la transformation du cartel européen d'États est la création d'une Communauté européenne des nations (ECN), une alliance similaire à l'ancien concept d'une Europe des nations. La majorité des partis d'extrême droite en Europe défendent ce concept depuis des années. Il correspond également à l'idée du président américain Trump, qui estime que l'UE, actuellement trop rivale des Etats-Unis, doit être affaiblie.

 

[1] Jonnelle Marte : Trump nomme Andrew Puzder, PDG d'une chaîne de restauration rapide et opposé à une augmentation substantielle du salaire minimum, à la tête du ministère du Travail. washingtonpost.com, 08/12/2016.

[2] Noam Scheiber : Andrew Puzder, candidat de Trump au poste de ministre du Travail, est opposé à l'augmentation du salaire minimum. nytimes.com, 08/12/2016.

[3] Alan Rappeport : Andrew Puzder, candidat de Trump au poste de ministre du Travail, reconnaît avoir employé une femme de ménage sans papiers. nytimes.com, 7 février 2017.

[4] Nancy Cook, Marianne Levine : Puzder refait surface à la Maison Blanche de Trump malgré le mouvement #MeToo. politico.com, 8 janvier 2018.

[5], [6] Eric Bazail-Eimil : Puzder bénéficie d'un traitement plus clément lors du deuxième processus de confirmation au Sénat. politico.com, 10 juin 2025.

[7] Andrew Puzder. heritage.org.

[8] La Heritage Foundation salue la nomination d'Andrew Puzder au poste d'ambassadeur auprès de l'Union européenne. heritage.org, 23 janvier 2025.

[9] Projet 2025. Mandat pour le leadership. La promesse conservatrice. Washington 2023.

[10] Lili Zemplényi : La Heritage Foundation et l'Institut du Danube signent un accord de coopération historique. hungarianconservative.com 16.03.2023.

[11] Voir aussi L'extrême droite transatlantique.

[12] Mike Gonzalez : La droite européenne tire les leçons de la tornade Trump. heritage.org, 18 février 2025.

[13] Sam Bright : La Heritage Foundation et ses alliés discutent du démantèlement de l'UE. desmog.com, 14 mars 2025.


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