L'extrême droite transatlantique (II)

Patriots for Europe (PfE)

Dans le sillage du violent virage à droite de la politique étatsunienne sous la présidence de Donald Trump, le parti européen Patriots for Europe (PfE) a tenu sa dernière assemblée générale ce week-end à Madrid. Les PfE comptent au total 14 partis issus de 12 pays de l'UE et représentent le troisième groupe parlementaire au Parlement européen avec 86 députés. Les PfE comptent un premier ministre (Viktor Orbán, Fidesz/Hongrie), deux vice-premiers ministres (Matteo Salvini, Lega/Italie et Fleur Agema, Partij voor de Vrijheid/Pays-Bas) et un premier ministre potentiel (Herbert Kickl, FPÖ/Autriche). A cela s'ajoutent des hommes politiques comme Andrej Babiš (ANO 2011/Tchéquie), qui pourrait également devenir Premier ministre après la victoire largement pronostiquée de son parti aux élections d'octobre, et Marine Le Pen (Rassemblement national/France), considérée comme une possible gagnante des élections présidentielles en France en 2027. En Belgique, c'est le Vlaams Belang, membre de l'EP, qui a remporté les élections européennes. En Espagne, Vox, membre de l'EPP, a déjà participé à des coalitions gouvernementales dans plusieurs des 17 régions autonomes du pays. Martin Helme, président du parti PfE Eesti Konservatiivne Rahvaerakond (EKRE), a été ministre des finances de l'Estonie de 2019 à 2021.

« Tornade Trump »

La victoire électorale de Trump et ses premières mesures en tant que président des US ont été saluées avec enthousiasme lors de l'assemblée générale de la PfE - surtout en raison de leur effet mobilisateur pour l'extrême droite dans le monde entier. La « tornade Trump » a « changé le monde en quelques semaines », a déclaré Orbán dans un discours prononcé devant les 2000 participants à l'événement de Madrid. Les forces politiques - comme le PfE - qui étaient auparavant qualifiées d' » hérétiques » et rejetées comme des restes d'une époque révolue, sont désormais classées comme annonciatrices de l'avenir.[1] Orbán a été applaudi lorsqu'il a remercié après coup le soutien que la dictature franquiste avait apporté en 1956 au soulèvement hongrois de l'époque. Vox, le parti qui a organisé l'événement de Madrid - il est dirigé par le président de PfE, Santiago Abascal - est dans la tradition du régime de Franco. Abascal, quant à lui, a plaidé devant les participants à l'événement pour resserrer les rangs au niveau de l'UE avec d'autres partis d'extrême droite pertinents. Il a explicitement cité le parti des Conservateurs et Réformistes Européens (ECR), au sein duquel les Fratelli d'Italia (FdI) de la Première ministre italienne Giorgia Meloni donnent actuellement le ton, et l'AfD, dont il a souhaité la « victoire » à la candidate à la chancellerie Alice Weidel pour les élections qui approchent.[2]

« Make Europe Great Again »

Alors qu'à Madrid, Trump a été salué comme un modèle - l'assemblée générale était placée sous le slogan « Make Europe Great Again » (MEGA) - plusieurs leaders de partis d'extrême droite ont remercié en particulier Elon Musk. « Les nouvelles technologies commencent à coopérer avec la bataille pour la liberté », a noté le président de PfE, Abascal. Même si les partis réunis dans la capitale espagnole ont longtemps fait l'objet d'une « censure implacable » pour que personne « n'entende leur message », la situation a changé, notamment grâce à Musk et à son média X.[3] L'année dernière, le groupe PfE au Parlement européen et le groupe Europe des nations souveraines (ESN), dont l'AfD fait partie, ont proposé conjointement la candidature de Musk pour le prix Sakharov pour la liberté de l'esprit, décerné chaque année par le Parlement européen. Mais leur démarche n'a pas abouti : le prix a finalement été attribué à deux opposants vénézuéliens.[4] Les relations avec Musk vont depuis longtemps au-delà de la proximité idéologique. Ainsi, le vice-premier ministre italien Matteo Salvini, président du parti PfE italien Lega, soutient l'attribution d'un contrat de plusieurs milliards au service de satellite Starlink de Musk. A l'avenir, les services publics italiens, y compris peut-être l'armée et les services secrets, utiliseront les satellites de Musk pour les communications sensibles.[5]

La fondation Heritage Foundation

Les relations concrètes que les PfE ont développées avec la droite américaine s'étendent désormais au-delà de Musk. Une délégation du parti européen a participé à l'investiture de Trump le 20 janvier à Washington. C'était le seul parti de l'UE à avoir reçu une invitation.[6] La délégation a profité de son séjour dans la capitale américaine pour rencontrer un certain nombre de politiciens, de fondations et d'autres institutions.[7] Elle a notamment échangé avec des représentants de la Heritage Foundation, l'un des groupes de réflexion de droite les plus influents de l'establishment américain. L'année dernière, la Heritage Foundation a développé des concepts et des stratégies pour l'administration Trump dans le cadre de son Project 2025, auxquels le président US a commencé à se référer de manière ponctuelle. Avec Andrew Puzder, Trump a nommé un collaborateur de la Heritage Foundation comme nouvel ambassadeur US auprès de l'UE.[8] Vendredi soir, des dirigeants de la PfE ont rencontré Kevin Roberts en marge de l'assemblée générale de la PfE à Madrid.[9] Roberts est président de la Heritage Foundation. Il avait déjà reçu le Premier ministre hongrois Orbán à Washington fin novembre 2022 et avait expressément loué le développement politique de la Hongrie sous son mandat.

Le CPAC Hungary 2025

Une nouvelle impulsion pour le développement des relations entre l'extrême droite américaine et l'extrême droite européenne sera donnée fin mai lors de la prochaine CPAC Hungary. La CPAC (Conservative Political Action Conference), fondée en 1974 aux Etats-Unis comme réunion de réseautage de l'aile droite des républicains américains, est devenue un événement de masse depuis les années 2000 et suit depuis 2017 le cours de Donald Trump, qui venait alors d'être élu président des Etats-Unis. Depuis 2017 également, elle crée des branches politiques à l'étranger. En 2022, le CPAC Hungary s'est tenu pour la première fois à Budapest. Outre des politiciens américains, des représentants de diverses organisations de droite et d'extrême droite en Europe y ont participé, notamment des partis qui font aujourd'hui partie des PfE, comme Vox, le Partij voor de Vrijheid néerlandais et le Vlaams Belang belge. Des représentants de Fratelli d'Italia de la première ministre Giorgia Meloni et des membres de l'AfD étaient également présents à certains moments.[10] Lors de la CPAC Hungary 2025, le Premier ministre Orbán prononcera à nouveau l'un des discours principaux.[11] Du côté US, le coorganisateur est le président de l'American Conservative Union, Matt Schlapp. L'épouse de Schlapp, Mercedes Schlapp, a travaillé dans la campagne électorale de Trump avant les élections présidentielles de novembre 2020 en tant que conseillère en communication stratégique.

En route vers la capacité de coalition

Le soutien des US - dans leur cas d'Elon Musk - continue à donner un nouvel élan à l'AfD, qui se situe désormais à plus de 20% dans les sondages. Les élections sont « une chance historique » pour la droite allemande, a jugé le vice-premier ministre italien Salvini lors de l'assemblée générale de la PfE à Madrid.[12] Comme condition préalable à la participation des partis d'extrême droite au gouvernement, on évoque désormais largement un nouveau cordon sanitaire qui doit contenir trois éléments - l'accord avec l'UE, l'état de droit, l'accord avec l'OTAN.[13] La candidate de l'AfD à la chancellerie, Alice Weidel, s'est montrée prête à faire les concessions nécessaires. Elle a récemment déclaré dans un talk-show que la demande officielle de son parti de réintroduire le mark était obsolète : « Il est bien trop tard pour sortir de l'euro ».[14] Dans son programme électoral, l'AfD a également laissé entrevoir un rapprochement relatif avec les Etats-Unis et s'est prudemment ouverte à une coopération transatlantique dans le cadre de l'OTAN (german-foreign-policy.com a rapporté [15]). Le parti se rapproche ainsi, selon les critères du cordon sanitaire nouvellement défini, de la capacité à former une coalition.

Plus d'informations sur le thème : L'extrême droite transatlantique.

[1], [2] Miguel González : La ultraderecha europea celebra en Madrid la vuelta a la Casa Blanca de su « compañero de armas » Donald Trump. elpais.com 08.02.2025.

[3] Sandrine Morel, Allan Kaval : A Madrid, l'extrême droite européenne s'inscrit dans les pas de Donald Trump. lemonde.fr 09.02.2025.

[4] Mathieu Pollet : L'extrême droite européenne veut remettre à Elon Musk un prix de la liberté d'expression. politico.eu 26.09.2024.

[5] Salvini : «  Musk può essere utile all'Italia. Trump da Nobel se riesce a ottenere la pace ». repubblica.it 06.02.2025.

[6] Miguel González : Abascal reúne en Madrid a los líderes de la ultraderecha europea bajo la sombra de Trump. elpais.com 07.02.2025.

[7] Délégation de Patriots.eu à Washington. patriots.eu 27.01.2025.

[8] La fondation Heritage applaudit la nomination d'Andrew Puzder comme ambassadeur auprès de l'UE. heritage.org 23.01.2025.

[9] Les partis d'extrême droite de l'UE se rassemblent à Madrid derrière le slogan « Make Europe Great Again ». france24.com 08.02.2025.

[10] Voir aussi Un oligarque pour l'AfD.

[11] CPAC Hongrie 2025 : L'âge des patriotes est arrivé ! cpachungary.com.

[12] Trump-style victory the aim for Europe's far right as leaders praise US president at Madrid conference. news.sky.com 08.02.2025.

[13] Voir aussi Die Brandmauer bricht.

[14] « Für Austritt aus dem Euro viel zu spät ». tagesschau.de 03.02.2025.

[15] Voir aussi Widersprüchliche Annäherung.