Un jugement lourd de conséquences

Groupe de réflexion met en garde contre les « conséquences » graves du jugement prononcé contre Marine Le Pen : les « mouvements anti-establishment » de droite pourraient se renforcer. Le soutien à Le Pen vient d'Europe, d'Israël et d'Amérique.

PARIS/BERLIN/WASHINGTON (rapport exclusif) – Un groupe de réflexion européen met en garde contre les « conséquences européennes plus larges » de l'exclusion de facto de Marine Le Pen de la prochaine élection présidentielle en France. Selon un récent communiqué du Conseil européen des relations étrangères (ECFR), la décision de priver Marine Le Pen de son droit de vote passif avec effet immédiat devrait entraîner un essor immédiat «des mouvements anti-establishment dans toute l'Europe». Selon les sondages, près de la moitié de la population française estime que le jugement était motivé par des raisons politiques. Des responsables politiques d'extrême droite de toute l'UE ont exprimé leur soutien à Marine Le Pen, dont un Premier ministre et un vice-Premier ministre. La politicienne a également reçu le soutien de l'Amérique du Nord et du Sud, ainsi que d'un ministre israélien qui a récemment invité des représentants de partis d'extrême droite de l'UE à une conférence à Jérusalem, et de la Heritage Foundation aux Etats-Unis. Ainsi, les éléments centraux d'un nouveau réseau de l'extrême droite transatlantique se serrent les coudes.

Inéligible dès à present

Le mécontentement suscité par la condamnation de Marine Le Pen est dû en particulier au fait qu'elle a été privée de son droit d'éligibilité pendant cinq ans, et au fait que cette peine n'a pas été suspendue jusqu'à la décision d'une cour d'appel, comme c'est généralement le cas, mais qu'elle est entrée en vigueur immédiatement. Le Pen n'est pas la première à être frappée d'une telle sanction. Cependant, les cas précédents de déchéance du droit d'éligibilité de personnalités politiques de premier plan concernaient des hommes politiques en fin de carrière ; l'ex-président Nicolas Sarkozy et l'ancien Premier ministre François Fillon n'ont pas perdu de chance de se présenter à un poste politique de haut niveau en raison de leur sanction. C'est le cas de Le Pen. La politicienne du Rassemblement National (RN) est même arrivée en tête des derniers sondages sur les préférences pour la prochaine élection présidentielle. Selon les résultats d'un sondage de l'institut de sondage Odoxa publiés lundi, Le Pen est actuellement la femme politique la plus populaire en France avec 37 % d'opinions favorables, juste devant l'ancien Premier ministre Édouard Philippe (36 %) et le président de son parti RN, Jordan Bardella (35 %).[1]

Une société divisée

Si l'importance politique de Le Pen ne doit pas avoir d'impact sur la jurisprudence, le fait qu'elle soit la seule femme politique à se voir refuser la possibilité d'accéder à la présidence en se voyant immédiatement retirer son droit de vote passif laisse au moins un mauvais goût dans la bouche de ses partisans et sympathisants. Il s'agit là d'une partie significative de la population française. Un premier sondage a montré lundi que 46 % de la population estiment que la procédure engagée contre Le Pen a été particulièrement sévère pour des raisons politiques. Seule une faible majorité de 54 % était d'avis que la politicienne du RN avait été traitée comme n'importe qui d'autre.[2] De même, seuls 54 % pensaient que le jugement montrait que la démocratie française fonctionnait bien. 43 % étaient convaincus du contraire. Indépendamment de l'évaluation juridique du jugement, celui-ci a renforcé la division au sein de la population française et risque d'attirer de nouveaux sympathisants vers l'extrême droite. Le Conseil européen des relations étrangères (ECFR) estime qu'il pourrait contribuer à mobiliser davantage la base du RN avant les prochaines élections.[3]

Ralliement des « patriotes »

Au niveau international, l'exclusion de Le Pen de l'élection présidentielle a conduit à un ralliement ostentatoire de l'extrême droite, sur la base de l'idée que la partie libérale des élites européennes utilise également la justice pour empêcher les forces d'extrême droite d'accéder au pouvoir. Dès lundi, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, le vice-Premier ministre italien Matteo Salvini et le politicien néerlandais Geert Wilders, dont le Partij voor de Vrijheid (PVV) fait partie de la coalition gouvernementale des Pays-Bas, ont apporté leur soutien. Le Fidesz, le parti d'Orbán, la Lega de Salvini et le PVV de Wilders sont membres de l'alliance de partis européens Patriotes pour l'Europe (PfE), dont fait également partie le RN de Le Pen.[4] D'autres partis membres de l'alliance des Patriotes pour l'Europe ont également pris position en faveur de Le Pen et contre le jugement. Le député européen du FPÖ, Harald Vilimsky, a ainsi qualifié le jugement de « scandaleux ».[5] Le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, a qualifié la décision de la Cour de « violation de la démocratie », tandis que le président du parti espagnol Vox a déclaré que le peuple français « ne se laissera pas réduire au silence ».[6] D'autres déclarations, qui ont toutes transmis des messages similaires, ont suivi.

Réseaux transatlantiques

Dans une déclaration récente, le CERF met en garde contre les « conséquences européennes plus larges » qui seraient « importantes » si le jugement était prononcé contre Le Pen.[7] Cela pourrait par exemple entraîner un essor immédiat « des mouvements anti-establishment dans toute l'Europe ». L'opinion, également propagée par l'administration Trump, selon laquelle les élites libérales auraient « pris le contrôle des systèmes politiques en Occident » est encore davantage légitimée. Nous verrons l'extrême droite affirmer encore plus vigoureusement à l'avenir que « le système » travaille à la réduire au silence. C'est déjà le cas, même en dehors de l'Europe. Ainsi, l'ex-président brésilien d'extrême droite Jair Bolsonaro aurait déclaré que «la gauche et le système» s'efforçaient de «mettre leurs adversaires hors-jeu».[8] Elon Musk, l'un des proches de Trump, a déclaré: «Si la gauche radicale ne peut pas gagner lors d'une élection démocratique, elle abuse de la justice pour mettre ses adversaires en prison».[9] La droite US a largement fait référence au discours du vice-président JD Vance lors de la conférence sur la sécurité de Munich. Dans ce discours, Vance avait déclaré qu'en Europe, la droite était réduite au silence par des moyens déloyaux.[10]

Soutien d'Israël

Des personnes et des organisations au-delà des frontières de l'Europe, qui sont actuellement en train de nouer des relations étroites avec les FEP, se rallient à ses affirmations. Ainsi, le ministre israélien des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli, a déclaré le X que «la tentative pitoyable et transparente des élites en déclin d'utiliser le système judiciaire comme une arme pour réprimer la volonté du peuple» allait «échouer».[11] Chikli a organisé une conférence à Jérusalem à laquelle des représentants de divers partis du PPE ont été invités la semaine dernière, dont le RN (german-foreign-policy.com a rapporté [12]). Il a été élu à la Knesset en 2022 pour le Likoud, le parti du Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui a officiellement le statut d'observateur au sein du PPE depuis février. La Heritage Foundation a également fait référence au discours de Vance en lien avec le jugement contre X. L'organisation US d'extrême droite renforce également ses relations avec les partis politiques d'extrême droite.[13] Elle gère un Margaret Thatcher Center for Freedom, dont l'expert juridique Eugene Kontorovich affirme maintenant que la France suit un « modèle de persécution politique » dans lequel des enquêtes pénales pour des délits obscurs sont utilisées « pour éliminer les dirigeants populaires des partis de droite ».[14] En soutenant l'extrême droite dans l'UE, la Heritage Foundation poursuit des objectifs politiques ; german-foreign-policy.com fera prochainement un reportage à ce sujet.

 

[1] Sondage : 60 % des adhérents RN déclarent préférer Jordan Bardella à Marine Le Pen. publicsenat.fr 31.03.2025.

[2], [3] Célia Belin, Camille Lons, Pawel Zerka : Slip of Le Pen : How the conviction of the French politician will fuel Europe's far right. ecfr.com 01.04.2025.

[4] Katya Adler : Le Pen's right wing European allies condemn court verdict as threat to democracy. bbc.co.uk 01.04.2025.

[5] Europas Rechte empört über Urteil. orf.at 31.03.2025.

[6] Thomas Adamson : Le verdict contre Le Pen déclenche un tollé de la part de l'extrême droite en France et au-delà. apnews.com 31.03.2025.

[7] Célia Belin, Camille Lons, Pawel Zerka : Slip of Le Pen: How the conviction of the French politician will fuel Europe's far right. ecfr.com 01.04.2025.

[8], [9] Jon Henley: « This will backfire »: Le Pen allies hit out at Paris court's 2027 election ban verdict. theguardian.com 01.04.2025.

[10] Voir aussi Die transatlantische extreme Rechte (III).

[11] Condamnation de Marine Le Pen à une peine d'inéligibilité : une cartographie des réactions de l'extrême-droite européenne. legrandcontinent.eu 01.04.2025.

[12] Voir aussi Zu Gast in Israel.

[13] Voir aussi Die transatlantische extreme Rechte (II).

[14] Benjamin Weinthal : Musk dénonce la décision de Le Pen, affirmant qu'elle se retournera contre lui comme celle de Trump, alors que certains membres de la droite mondiale font face à des problèmes juridiques. aol.com 01.04.2025.


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