Bombardements et plans de déportation
Berlin se retient de critiquer la rupture du cessez-le-feu à Gaza par Israël. Là-bas et aux Etats-Unis, on continue de planifier la déportation forcée des Palestiniens de Gaza. Le gouvernement allemand risque de devenir complice.
BERLIN/TEL AVIV (rapport exclusif) – Le gouvernement fédéral continue de se garder de toute critique face à la rupture par Israël du cessez-le-feu dans la guerre de Gaza et aux nouveaux massacres qui s'y déroulent. Alors que les hauts représentants des Nations Unies se sont montrés « horrifiés » et que la représentante de l'UE pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, a qualifié les récentes frappes aériennes israéliennes d'« inacceptables », la ministre allemande des Affaires étrangères, Annegret Kramp-Karrenbauer, a d'abord plaidé pour la « proportionnalité ». Les frappes aériennes, dont la première vague a déjà fait 400 morts mardi, soit le plus grand nombre de morts en une journée depuis 2023, ont suivi le blocus de la bande de Gaza, qui dure depuis le 2 mars et se poursuit encore aujourd'hui, et qui prive plus de deux millions de personnes dans la zone bouclée de l'approvisionnement, notamment en nourriture et en médicaments. À cela s'ajoutent les projets de l'administration Trump, qui ont été rendus publics, de déporter de force la population de la bande de Gaza afin de construire des complexes hôteliers de luxe sur la côte. Si le clan Trump parvient à prendre le contrôle de facto de la bande de Gaza, les espoirs de Berlin d'exercer une plus grande influence au Proche-Orient seraient menacés.
La faim comme arme
Avant même la rupture de l'armistice, le blocus total de toutes les livraisons d'aide dans la bande de Gaza, que les Israéliens ont relancé le 2 mars, avait considérablement aggravé la situation déjà catastrophique de la population. Comme l'a confirmé mardi Tom Fletcher, coordinateur des secours d'urgence de l'ONU, depuis deux semaines et demie, plus aucune nourriture, aucun médicament, aucun carburant et aucun gaz de cuisson n'arrivent dans la zone bouclée. Les blessés et les malades ne peuvent plus être que partiellement soignés ; les installations de dessalement étant hors service, il y a de moins en moins d'eau propre. L'OMS met une fois de plus en garde contre la propagation d'épidémies, en plus de la pénurie alimentaire généralisée.[1] Comme le constate Fletcher, priver systématiquement la population civile de nourriture, d'eau et de médicaments est contraire au droit international : « Il faut y mettre fin immédiatement. » En début de semaine, le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a pour la première fois confirmé publiquement qu'Israël violait ouvertement le droit international en bloquant complètement l'acheminement de l'aide à Gaza, ce qui a attiré l'attention.[2] Berlin n'a pas fait de déclaration officielle sur le blocus israélien. Cependant, le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a depuis relativisé les propos de Lammy.[3]
Rupture du cessez-le-feu
Mardi, Israël a également rompu le cessez-le-feu dans la guerre de Gaza, au motif que le Hamas n'était pas prêt à satisfaire ses dernières exigences, à savoir la libération immédiate de tous les otages et le renoncement aux conditions de cessez-le-feu négociées. Les négociations prévues par l'accord de cessez-le-feu avaient d'abord été retardées pendant des semaines par Israël, puis interrompues avec la reprise des frappes aériennes. Selon un article du Wall Street Journal, ces dernières ont eu lieu avec l'accord du président US Donald Trump, qui a déclaré vouloir construire des complexes hôteliers de luxe sur les ruines de la bande de Gaza détruite après l'expulsion de la population palestinienne.[4] Lors de la préparation des frappes aériennes, les forces armées israéliennes ont tenu compte du fait que pendant le mois de jeûne musulman du ramadan, les familles musulmanes se réunissent après le coucher du soleil pour rompre le jeûne. Il est évident que les lieux où se trouvaient les familles des hauts responsables du Hamas ont été délibérément bombardés. C'est ainsi que les observateurs expliquent le nombre élevé de femmes et d'enfants parmi les victimes.[5] Au total, plus de 400 Palestiniens ont perdu la vie. Auparavant, les autorités palestiniennes avaient déjà indiqué que le nombre de victimes palestiniennes depuis le début de la guerre s'élevait à environ 48 000.
Réactions internationales
Dès mardi, de nombreux proches des otages et leurs soutiens sont descendus dans la rue en Israël pour protester contre la reprise des frappes aériennes et exiger la fin immédiate des bombardements. Des réactions d'horreur sont venues des Nations Unies. Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a déploré le «niveau insupportable de souffrance» infligé à la population de la bande de Gaza.[6] Le commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, s'est dit « horrifié » par les frappes aériennes et a exigé leur arrêt immédiat.[7] Entre-temps, la haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, a également protesté et déclaré au ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, que les nouvelles frappes aériennes étaient « inacceptables ».[8] L'extrême droite israélienne a en revanche salué les attaques. Le ministre des Finances israélien, Bezalel Smotrich, du parti des Sionistes religieux, a déclaré que l'objectif pour lequel il était resté au gouvernement avait été atteint. Le président du parti Force juive, Itamar Ben-Gvir, a déclaré que les conditions étaient désormais réunies pour qu'il revienne au gouvernement israélien.[9] La ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, s'est contentée de déclarer, sans engagement, qu'elle plaidait pour la «proportionnalité» et le respect du droit international.[10]
Plans de déportation des masses
Ce n'est qu'à la fin de la semaine dernière que l'on a appris que les autorités israéliennes et US-américaines cherchaient activement des pays vers lesquels elles pourraient déporter de force la population de la bande de Gaza, soit plus de deux millions de personnes, afin de réaliser les plans du clan Trump visant à construire des complexes hôteliers de luxe à Gaza. L'agence de presse AP a ainsi rapporté que des représentants des deux États avaient tendu la main à la Somalie et au Somaliland, qui s'est séparé de ce dernier. Des sources US ont également manifesté leur intérêt pour le Soudan, qu'elles envisageraient comme destination de déportation pour les Palestiniens. [11] Des sources au Soudan l'ont confirmé ; selon elles, avant même l'entrée en fonction de Trump, des premières offres d'assistance militaire dans la guerre civile soudanaise leur ont été faites, si elles acceptaient d'accueillir les Palestiniens déportés. La Somalie et le Somaliland nient avoir eu des discussions officielles. La Maison Blanche confirme que Trump maintient ses plans de déportation.[12] Ceux-ci proviennent de l'extrême droite israélienne, qui les propage sous le terme cynique d'«émigration volontaire». Le ministre des Finances Naftali Bennett est depuis longtemps l'un de leurs partisans. Actuellement, ils sont en train de s'infiltrer dans la politique gouvernementale israélienne et US.
Complice
Le gouvernement fédéral a toujours soutenu la guerre menée par Israël et s'est contenté de critiquer prudemment certains excès, sans jamais s'engager. Il protège en outre personnellement le Premier ministre Benjamin Netanyahou, contre lequel une procédure est en cours devant la Cour pénale internationale (CPI). Le futur chancelier allemand présumé, Friedrich Merz, a laissé entendre qu'il souhaitait inviter Netanyahou en Allemagne, sans pour autant appliquer le mandat d'arrêt émis par la CPI à son encontre. Les services scientifiques du Bundestag ont confirmé que cela serait illégal.[13] Les experts soulignent qu'il existe des moyens viables pour y parvenir - par exemple une «intervention dans le processus administratif pour mettre en œuvre l'arrestation et le transfert» - mais que cela ne serait possible qu'en commettant une violation flagrante de la loi.[14] Si l'ensemble de la population de la bande de Gaza était effectivement déportée de force, le gouvernement fédéral, s'il s'en tenait à sa ligne actuelle, se rendrait complice d'un nouveau crime de masse.
Influence en danger
Il apparaît actuellement que la perspective, jusqu'alors clairement identifiable à l'époque de l'administration Biden, selon laquelle l'Allemagne pourrait acquérir une plus grande influence au Moyen-Orient en coopération avec Israël [15], pourrait bien s'effondrer. Si le clan Trump contrôle de facto une bande de Gaza dépeuplée, en coopération avec un gouvernement israélien d'extrême droite, les perspectives d'un renforcement de la position allemande dans la région seraient très minces, du moins tant que le gouvernement fédéral envisage, comme c'est actuellement le cas, d'entrer en conflit ouvert avec l'administration Trump (selon german-foreign-policy.com [16]). Il est encore trop tôt pour dire si cela conduira à des changements de cap à Berlin.
[1] Ephrem Kossaify: UN humanitarian chief appeals for aid access as Gaza faces 'total' blockade. arabnews.com 18.03.2025.
[2] George Grylls: Israel is breaking international law in Gaza, UK says for first time. thetimes.com 17.03.2025.
[3] Noah Keate: Le Royaume-Uni revient sur sa déclaration selon laquelle le blocus de l'aide israélienne à Gaza est illégal. politico.eu 18.03.2025.
[4] Feliz Solomon, Abeer Ayyoub, Carrie Keller-Lynn: Les frappes israéliennes tuent des centaines de personnes et font basculer Gaza vers la guerre. wsj.com 18.03.2025.
[5] Christian Meier: Von den Geiselfamilien will die Regierung nichts mehr hören. Frankfurter Allgemeine Zeitung 19.03.2025.
[6] Jennifer Rankin, Oliver Holmes: World leaders express outrage at Israel's renewed bombing of Gaza civilians. theguardian.com 18.03.2025.
[7] Commentaire du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme Volker Türk sur les frappes aériennes israéliennes sur Gaza. ohchr.org 18.03.2025.
[8] Nava Freiberg : L'UE déclare que la reprise des combats à Gaza est « inacceptable » pour Israël. timesofisrael.com 19.03.2025.
[9] Christian Meier : Le gouvernement ne veut plus entendre parler des familles des otages. Frankfurter Allgemeine Zeitung 19.03.2025.
[10] Des centaines de morts dans les frappes aériennes. Frankfurter Allgemeine Zeitung 19.03.2025.
[11], [12] Josef Federman, Matthew Lee, Samy Magdy: US and Israel look to Africa for moving Palestinians uprooted from Gaza. apnews.com 14.03.2025.
[13] Pauline Jäckels: Wissenschaftlicher Dienst: Netanjahu müsste verhaftet werden. nd-aktuell.de 17.03.2025.
[14] Max Kolter: «Freies Geleit mit der Brechstange» (Escorte libre avec un pied-de-biche). lto.de 26/02/2025.
[15] Voir à ce sujet « L'UE veut jouer un rôle clé au Proche-Orient » et « Dans l'intérêt national de l'Allemagne ».
[16] Voir à ce sujet « Mur de drones au-dessus du flanc est de l'OTAN ».
