Du tournant historique à la rupture de l'époque

Merz annonce les premières coupes sociales drastiques pour financer le réarmement et promet une « rupture de l'époque » ou la fin de la « République de Bonn ». La pauvreté en Allemagne augmente déjà de façon significative.

BERLIN (rapport exclusif) – Le chancelier allemand Friedrich Merz lance une attaque contre le système social allemand et demande, dans un premier temps, une réduction d'un dixième des dépenses consacrées au revenu minimum garanti, soit cinq milliards d'euros. C'est le « minimum », a dit Merz mardi. Il avait déjà dit avant que l'Allemagne « ne pouvait tout simplement plus se permettre » son système social et avait annoncé une « rupture de l'époque » : « La République de Bonn est finie pour de bon. » La « rupture de l'époque » de Merz fait suite au « tournant historique » proclamé en 2022 par son prédécesseur Olaf Scholz, qui a entraîné une augmentation spectaculaire des dépenses militaires, conduisant aujourd'hui à des coupes sombres dans les budgets sociaux : le triplement du budget de la défense est financé au détriment des plus pauvres. Et pourtant, l'Allemagne enregistre déjà une nette augmentation du taux de pauvreté. Les coupes dans les budgets sociaux au profit de l'armement sont un processus qui touche tous les pays européens membres de l'OTAN. Le trio armement, coupes sociales et pauvreté s'accompagne d'une répression croissante à l'encontre des opposants à la guerre et à l'armement, comme récemment avec la violence policière contre les manifestations à Cologne contre la militarisation de la République fédérale.

La fin de la « République de Bonn »

Le week-end dernier, le chancelier Friedrich Merz a lancé une attaque contre le système social allemand, déjà annoncée sous le slogan « L'automne des réformes ». Merz a choisi de s'attaquer au revenu universel, qui a coûté environ 58,2 milliards d'euros en 2024. « La situation actuelle, en particulier en ce qui concerne le revenu citoyen, ne peut pas rester telle quelle et ne le restera pas », a dit Merz.[1] « Ce n'est pas seulement un tournant, c'est une rupture de l'époque », a-t-il ajouté : « La République de Bonn, c'est fini pour de bon. » Mardi, Merz a précisé qu'il était « vraiment convaincu » qu'il faudrait « économiser 10 % dans ce système », le revenu citoyen, et il a arrondi ce chiffre à cinq milliards d'euros.[2] Ce devrait être « l'ordre de grandeur minimum ». Le chancelier a fait cette déclaration peu après que l'Agence fédérale pour l'emploi ait annoncé que le chômage avait atteint en août son plus haut niveau depuis 15 ans pour ce mois, avec environ 3,025 millions de personnes.[3] La situation pourrait « même empirer », a admis Merz, invoquant comme raison d'une possible nouvelle hausse du chômage « la politique douanière américaine », qui « affecterait considérablement » de nombreuses entreprises allemandes.[4] La hausse du chômage exige une augmentation des dépenses sociales.

Des trous dans le budget pour l'armement

La thèse que l'Allemagne « ne peut plus se permettre » son État providence est parfois justifiée de manière grotesque dans la politique et les médias. On dit par exemple que « des mesures comme une augmentation de l'indemnité forfaitaire pour les trajets domicile-travail et la subvention pour le diesel agricole » risquent de « creuser des trous supplémentaires dans le budget, ce qu'on ne peut pas vraiment se permettre ».[5] En fait, ce sont surtout les dépenses militaires qui creusent des « trous » dans le budget allemand en ce moment, avec une augmentation sans précédent. Le budget militaire allemand, qui était d'environ 52 milliards d'euros l'année dernière, devrait passer à 152,8 milliards d'euros d'ici 2029. À cela s'ajoutent les dépenses pour les infrastructures à usage militaire, estimées à près de 70 milliards d'euros en 2029 (selon german-foreign-policy.com [6]). Tout cela représente une augmentation de 170 milliards d'euros rien qu'en raison des dépenses supplémentaires pour l'armée et les infrastructures à usage militaire. Malgré une augmentation de l'emprunt net – une hausse d'environ 40 milliards d'euros est prévue –, le gouvernement fédéral table sur un déficit de financement de 74 milliards d'euros pour 2029. Ce déficit serait entièrement couvert si Berlin renonçait à l'augmentation sans précédent des dépenses militaires.

Pauvreté en augmentation

Cette augmentation sans précédent des dépenses militaires arrive à un moment où, en Allemagne, la pauvreté et le nombre d'ultra-riches sont en hausse, ce qui creuse encore plus le fossé social. En avril, une étude de la Banque fédérale allemande a confirmé que les 10 % des ménages allemands les plus riches possèdent actuellement 54 % de la richesse totale du pays, tandis que la moitié la plus pauvre de la population ne dispose que de 3 % de cette richesse.[7] En même temps, le nombre d'ultra-riches augmente vite ; rien qu'en 2023, le nombre de milliardaires en Allemagne a augmenté de 23 personnes, soit près de 10 %, pour atteindre 249.[8] La pauvreté est déjà en hausse. Selon les données de l'association allemande pour la prospérité (Deutscher Paritätischer Wohlfahrtsverband, DPWV), 15,5 % de la population allemande était touchée par la pauvreté en 2024, soit 1,1 point de pourcentage de plus que l'année précédente. Environ 5,2 millions de personnes ont même souffert de privations matérielles importantes, ne pouvant ni chauffer leur logement ni acheter de nouveaux vêtements. Le revenu moyen des personnes touchées par la pauvreté était de 921 euros par mois, soit moins qu'en 2020 (981 euros).[9]

Dans toute l'Europe de l'OTAN

La triple tendance à l'augmentation sans précédent des dépenses militaires, aux plans de réduction tout aussi inédits dans les budgets nationaux et à la fracture sociale croissante ne se manifeste pas seulement en Allemagne, mais dans tous les pays européens membres de l'OTAN. Selon certains rapports, leurs dépenses militaires devraient plus que doubler d'ici 2030, pour atteindre au total plus de 800 milliards d'euros. Les pays européens membres de l'OTAN rattraperaient ainsi presque les États-Unis. Selon les estimations, les dépenses directement consacrées à l'armement dans les pays européens membres de l'OTAN pourraient passer de 75 milliards d'euros en 2021 à 140 milliards d'euros en 2024, puis à 335 milliards d'euros en 2030.[10] Même si l'Allemagne est clairement en tête, d'autres pays s'apprêtent aussi à renforcer leur armement et à prendre des mesures de réduction drastiques. En France, le président Emmanuel Macron prévoit d'augmenter le budget militaire de 6,7 milliards d'euros en 2026 pour atteindre 57,1 milliards d'euros, et de dépenser environ 64 milliards d'euros en 2027, soit deux fois plus qu'en 2017.[11] En même temps, le Premier ministre français François Bayrou a dit qu'il voulait couper 44 milliards d'euros dans le prochain budget de l'État, ce qui va entraîner des coupes drastiques dans les dépenses sociales. Le taux de pauvreté en France a atteint 15,4 %, son plus haut niveau depuis trente ans.[12]

Criminaliser et empêcher

L'augmentation des dépenses militaires, les coupes sociales et la pauvreté grandissante vont de pair avec une répression accrue contre les opposants à la guerre et à l'armement. Le week-end dernier, à Cologne, la police a bloqué une manif d'environ 3 000 personnes qui protestaient contre la militarisation de l'Allemagne, a utilisé la force contre elles, a encerclé plus d'un millier de manifestants et les a retenus jusqu'au petit matin, parfois sans accès à l'eau. 147 manifestants ont dû être soignés par des ambulanciers pour des blessures causées par les policiers ; 18 ont dû être transportés à l'hôpital. « La police a refusé de laisser les gens recevoir des soins médicaux d'urgence », a dit un des organisateurs de la manif ; en plus, les flics auraient « agressé physiquement l'avocate des organisateurs et arrêté les journalistes présents ».[13] Il semble clair que la « protestation contre la militarisation » doit être combattue, criminalisée et « finalement empêchée ».

 

[1] Reiner Burger, Paul Gross: Uneinig mit der SPD? „Wird auch in den nächsten Monaten so sein“. faz.net 30.08.2025.

[2] Regierung muss zehn Prozent der Ausgaben beim Bürgergeld einsparen. wiwo.de 03.09.2025.

[3] Zahl der Arbeitslosen so hoch wie seit zehn Jahren nicht mehr. Frankfurter Allgemeine Zeitung 30.08.2025.

[4] Regierung muss zehn Prozent der Ausgaben beim Bürgergeld einsparen. wiwo.de 03.09.2025.

[5] Diese Bomben müssen Union und SPD entschärfen. n-tv.de 03.09.2025.

[6] S. dazu Wohin ein solcher Wahnsinn führt.

[7] Kathrin Müller-Lancé: Verurteilung von Vermögen in Deutschland ist ungleich. sueddeutsche.de 10.04.2025.

[8] Zahl der Milliardäre in Deutschland steigt auf Rekordwert. deutschlandfunk.de 20.11.2024.

[9] Paritätischer Wohlfahrtsverband: Arme werden ärmer. der-paritaetische.de 29.04.2025.

[10] Markus Fasse, Frank Specht, Roman Tyborski: So groß könnte die Rüstungsbeschaffung in Europa werden. handelsblatt.com 02.09.2025.

[11] Denis Cosnard: Projet de budget 2026 : une hausse des crédits militaires, des économies partour ailleurs. lemonde.fr 05.08.2025.

[12] Claire Ané: La pauvreté et les inégalités au plus haut depuis trente ans. lemonde.fr 07.07.2025.

[13] Henning von Stoltzenberg: Amtliche Ausflüchte. junge Welt 03.09.2025.


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